Garantie décennale : exclusion des dommages décennaux certains mais non réalisés dans le délai

Cass. civ. 3ème, 28 février 2018, n°17-12.460

En l’absence d’un dommage ayant atteint la gravité décennale, la garantie décennale issue de l’article 1792 du Code civil ne peut être mise en œuvre que s’il est établi de manière certaine que le désordre atteindra une telle gravité à l’intérieur du délai décennal.

Ce qu’il faut retenir : En l’absence d’un dommage ayant atteint la gravité décennale, la garantie décennale issue de l’article 1792 du Code civil ne peut être mise en œuvre que s’il est établi de manière certaine que le désordre atteindra une telle gravité à l’intérieur du délai décennal. Passé ce délai, la certitude de la survenance d’un dommage à court terme ne peut engager la responsabilité décennale du constructeur. 

Pour approfondir : En l’espèce, les requérants avaient acquis une maison d’habitation, dans laquelle les vendeurs avaient réalisé des lots de gros œuvre, maçonnerie et assainissement durant l’année 2001. Invoquant l’existence de désordres affectant le réseau d’assainissement de l’immeuble, les requérants ont assigné le vendeur et son assureur en référé expertise.

L’expert a alors déposé son rapport définitif en 2013. Il relève qu’aucun désordre n’a pu être constaté lors de l’expertise, mais que l’état des tuyauteries enterrées provoquera un désordre à court terme rendant l’ouvrage impropre à sa destination. Les requérants ont alors assigné le vendeur et son assureur en réparation de leur préjudice sur le fondement de la garantie décennale.

La Cour d’appel fait droit à leur demande. Elle juge que « la certitude de la survenance à court terme d’un désordre (rupture des canalisations en PVC entraînant un engorgement de nature à compromettre la destination de l’ouvrage) est suffisante à engager la responsabilité décennale du constructeur dès lors que ce dommage futur ne peut être considéré comme hypothétique et qu’il a été identifié, dans ses causes, dans le délai décennal d’épreuve, même s’il ne s’est pas réalisé pendant celui-ci ».

La Cour de cassation casse l’arrêt et rappelle le régime des dommages, dits futurs, permettant la mise en œuvre de la garantie décennale, alors même que les désordres en cause n’ont pas atteint la gravité décennale. En effet, rappelons que depuis les revirements de jurisprudence (Cass. civ. 3ème, 3 décembre 2002, n°01-13.855 ; Cass. civ. 3ème, 29 janvier 2003, n°00-21.091 ; n°01-13.034 ; n°01-14.698), sont qualifiés de désordres futurs relevant de l’article 1792 du Code civil, les seuls désordres dont on est certain qu’ils porteront atteinte à la solidité ou à la destination de l’immeuble avant l’expiration du délai décennal.

En l’espèce, à l’issue de l’expertise, 12 ans après la réception des travaux, aucun désordre n’avait été constaté par l’expert. Dès lors, l’action en garantie décennale ne peut aboutir, peu importe que l’expert ait identifié de manière certaine la survenance de désordres décennaux à court terme : le délai décennal est passé et ces désordres surviendront nécessairement postérieurement à l’expiration du délai décennal.

En outre, il convient de bien faire la distinction entre dommage futur et dommage actuel relevant de l’article 1792 du Code civil. Un dommage actuel présente la gravité décennale au jour où le juge statue ; alors que le dommage futur ne compromet pas encore la solidité de l’ouvrage et ne porte pas encore atteinte à sa destination. Par exemple, un risque d’effondrement peut constituer un dommage actuel en tant qu’il compromet la solidité de l’ouvrage. C’est ce qui est retenu en matière de risque d’effondrement dû au non-respect d’une norme parasismique. Ce risque relève alors de la garantie décennale, même s’il est impossible de savoir si et quand le sinistre se réalisera (Cass. civ. 3ème, 11 mai 2011, n°10-11.713). Toutefois, cette solution n’est pas retenue en matière de risque d’effondrement d’un mur dû à une non-conformité à une règle de l’art, pour lequel la Cour de cassation a exigé la certitude que l’effondrement se réalise dans le délai décennal (Cass. civ. 3ème, 23 octobre 2013, n°12-24.201).

A rapprocher : Art. 1792 du Code civil ; Cass. civ. 3ème, 3 décembre 2002, n°01-13.855 ; Cass. civ. 3ème, 29 janvier 2003, n°00-21.091 ; n°01-13034 ; n°01-14698 ; Cass. civ. 3ème, 11 mai 2011, n°10-11.713 ; Cass. civ. 3ème, 23 octobre 2013, n°12-24.201

Sommaire

Autres articles

some
Le recours entre constructeurs : action soumise au droit commun de la prescription
Cass. civ. 3ème, 16 janvier 2020, n°18-25.915 Par un arrêt en date du 16 janvier 2020, signalé en « P+B+R+I », la Cour de cassation a jugé que le recours d’un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relève…
some
Clause abusive et personne morale « non-professionnelle »
Cass. civ. 3ème, 7 novembre 2019, n°18-23.259, Publié au Bulletin Selon les articles L.212-1 et L.212-2 du Code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet…
some
Application d’une clause excluant la responsabilité solidaire ou in solidum de l’architecte
Cass. civ. 3ème, 14 février 2019, n° 17-26.403 La clause du contrat de maîtrise d’œuvre, excluant la responsabilité solidaire de l’architecte, en cas de pluralité de responsables, n’est pas limitée à la responsabilité solidaire et s’applique également à la responsabilité…
some
La conception libérale de la preuve du principe du contradictoire dans la réception des travaux
Cass. civ. 3ème, 7 mars 2019, n°18-12.221 Le respect du principe du contradictoire imposé lors de la réception des travaux est respecté dès lors que les parties ont été valablement convoquées. La preuve de cette convocation peut résulter de l’envoi…
some
Résiliation du marché de travaux aux torts réciproques des parties
Cass. civ. 3ème, 6 septembre 2018, n°17-22.026 La résiliation du marché de travaux peut être prononcée aux torts réciproques des parties, dès lors que ni le maître d’ouvrage ni le constructeur ne souhaitent en poursuivre l’exécution. La résolution d’un engagement…
some
Vente immobilière : dol et responsabilité des constructeurs à l’égard des acquéreurs successifs
Cass. civ. 3ème, 12 juillet 2018, n°17-20.627, FS-P+B+I L’action en responsabilité pour faute dolosive, engagée par les sous-acquéreurs d’une maison individuelle à l’encontre du constructeur, s’analyse en une action de nature contractuelle. Cette action étant attachée à l’immeuble, elle se…