La présomption d’urgence de l’article L.600-3 du Code de l’urbanisme prévue pour la suspension d’exécution d’une décision d’urbanisme est réfragable

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ROBERT-VEDIE Isabelle

Avocat associée

Conseil d’Etat, 26 mai 2021, n°436902

La présomption d’urgence prévue par l’article L.600-3 du Code de l’urbanisme au bénéfice des requérants sollicitant la suspension provisoire de l’exécution d’une décision d’urbanisme est une présomption réfragable. 

Ce qu’il faut retenir :

Par un arrêt en date du 26 mai 2021, qui sera mentionné aux Tables du Recueil Lebon, le Conseil d’Etat vient préciser qu’« (…) en estimant que ces éléments (parmi lesquels figure notamment l’intérêt public s’attachant à l’exécution du permis de construire contesté) étaient de nature à renverser la présomption d’urgence prévue par l’article L.600-3 du Code de l’urbanisme, il n’a ni entaché son ordonnance d’erreur de droit, cette présomption étant dépourvue de caractère irréfragable, ni fait peser sur les requérants la charge de la preuve de la condition d’urgence ».

Pour approfondir :

Dans cette affaire, une association de protection de l’environnement ainsi que plusieurs riverains contestaient deux arrêtés préfectoraux des 14 février et 15 mai 2019 autorisant la société Centre de valorisation organique de Seine et Marne à respectivement construire, puis exploiter une unité de méthanisation de déchets non dangereux.

Après avoir saisi le juge administratif d’un recours en annulation de ces deux arrêtés, ils en ont sollicité la suspension provisoire d’exécution, se prévalant, d’une part, de l’existence de moyens propres à créer un doute sérieux sur leur légalité et, d’autre part, s’agissant de la demande de suspension provisoire d’exécution du permis de construire, de la présomption d’urgence telle qu’elle figure à l’article L.600-3 du Code de l’urbanisme, qui dispose que « la condition d’urgence prévue à l’article L.521-1 du Code de justice administrative est présumée satisfaite ».

Le juge des référés a rejeté les deux requêtes : s’agissant de la demande de suspension provisoire du permis de construire, il a en effet considéré que l’intérêt public s’attachant à la mise en œuvre du permis de construire existait dans la mesure où « le projet devait remplacer une porcherie causant de fortes nuisances olfactives, contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et permettre le traitement et la valorisation de biodéchets », alors qu’au contraire, les requérants n’établissaient pas que la construction de cette unité « créerait pour eux des nuisances supérieures à celles qu’ils subissent du fait de l’implantation de la porcherie » remplacée par l’unité de méthanisation.

Les requérants soutenaient qu’en s’étant prononcé de la sorte, le juge des référés avait commis une erreur de droit dans l’application de l’article L.600-3, et qu’il avait renversé la charge de la preuve en exigeant de leur part qu’ils démontrent l’urgence de la suspension.

Le Conseil d’Etat confirme le bien-fondé du raisonnement du premier juge, et précise la portée de la présomption d’urgence introduite à l’article L.600-3 par la loi ELAN du 23 novembre 2018 (n°2018-1021), qu’il considère donc comme n’étant pas irréfragable.

Le contentieux des permis de construire ayant en effet été identifié comme l’un des freins les plus sérieux à l’opération de construction, le groupe de travail présidé par Mme Christine Maugüé a été chargé de formuler des propositions destinées à rendre ce contentieux plus rapide et plus efficace.

Reprenant les propositions du groupe de travail, le législateur a donc, par la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Elan) du 23 novembre 2018, introduit deux modifications à l’article L.600-3 :

  • En enfermant le délai de présentation d’une demande de suspension provisoire d’une autorisation d’urbanisme dans un délai courant « jusqu’à l’expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort » ;
  • Et en décidant, en contrepartie, de consacrer le principe d’une présomption d’urgence au bénéfice du requérant, déjà largement admis par la jurisprudence (Conseil d’Etat, 16 février 2011, Copropriété les Bleuets, n°341422, p.1078).

En introduisant une telle présomption, le législateur n’a cependant pas eu l’intention de consacrer l’automaticité de la condition d’urgence à suspendre une décision de non-opposition à déclaration préalable ou une autorisation d’urbanisme.

Tout en rappelant que cette présomption permettait au requérant de se dispenser de la démonstration de l’imminence de l’engagement des travaux (en censurant une ordonnance de référé qui avait jugé le contraire : Conseil d’Etat, 20 octobre 2020, n°430729), le Conseil d’Etat considère donc que lorsque le bénéficiaire de l’autorisation querellée apporte suffisamment d’éléments de nature à démontrer que l’urgence de la mise en œuvre de l’autorisation prévaut sur l’urgence d’ordonner sa suspension, laquelle est présumée, alors la suspension provisoire d’exécution doit être écartée.

A rapprocher : Article L.600-3 du Code de l’urbanisme ; Loi n°2018-1021 dite « Loi Elan » du 23 novembre 2018

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