COVID-19 : L’impact de l’état d’urgence sanitaire sur le droit immobilier

Les thèmes de droit immobilier concernés par les ordonnances publiées le 26 mars 2020 sont essentiellement la pérennité de l’usage des locaux professionnels et commerciaux, les expulsions locatives et la copropriété des immeubles bâtis.

Ce qu’il faut retenir :

Selon l’article 4 de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, l’état d’urgence sanitaire est déclaré depuis le 24 mars 2020, pour une durée de deux mois. Il est donc prévu qu’il cesse le 24 mai 2020, sous réserve qu’aucune modification ne soit apportée d’ici là.

Aux termes de l’article 11 de cette loi, le gouvernement était autorisé à prendre par ordonnances, avant le 24 juin 2020, des mesures relevant du domaine de la loi, destinées à atténuer les graves dommages notamment administratifs, juridictionnels, économiques, financiers et sociaux provoqués par le confinement.

A l’issue du Conseil des ministres du mercredi 25 mars 2020, 25 ordonnances ont été adoptées, un record sous la Vème République. Parmi elles, quatre intéressent de près le droit immobilier.

 

Pour approfondir :

Les thèmes de droit immobilier concernés par les ordonnances publiées le 26 mars 2020 sont essentiellement la pérennité de l’usage des locaux professionnels et commerciaux, les expulsions locatives et la copropriété des immeubles bâtis.

Etant donné qu’à chaque sujet correspond une ordonnance, il convient de les analyser les unes après les autres.

  • Ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de COVID-19

Le gouvernement a pris la décision de reporter ou d’étaler le paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux et de renoncer aux pénalités financières et aux suspensions, interruptions ou réductions de fournitures susceptibles d’être appliquées en cas de non-paiement de ces factures.

Bénéficient de cette ordonnance les entreprises éligibles au fonds de solidarité (article 1). Le texte renvoie à un décret et au champ d’application de l’ordonnance portant création d’un fonds de solidarité.

D’après le dossier de presse mis en ligne sur le site du Ministère de l’Économie, ce fonds de solidarité ne concernera que les TPE, indépendants, micro-entrepreneurs et professions libérales qui font moins d’1 million d’euros de chiffre d’affaires ainsi qu’un bénéfice annuel imposable inférieur à 60 000 euros et qui ont subi une fermeture administrative ou connaissent une perte de chiffre d’affaires significative (70%) par rapport au mois de mars 2019.

Notamment ces entreprises ne pourront « encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, dastreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle » et nonobstant les règles applicables à la résiliation du bail en cas de procédure collective (art. 4).

Toutefois, il ne s’agit que des paiements dont l’échéance intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence (art. 4, alinéa 2).

A noter qu’il ne s’agit pas, à date, d’une annulation des loyers et charges pour la période mais seulement d’une possibilité de les suspendre sans pénalité, ni résiliation, ni activation des garanties.

  • Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période

L’exécutif a prévu que l’ensemble des délais échus pendant une période allant du 12 mars 2020 à l’expiration du délai d’un mois à compter de la « date de cessation de l’état d’urgence sanitaire » seront prorogés (article 1).

Il faut remarquer que n’entrent dans le champ de cette mesure ni les délais dont le terme est échu avant le 12 mars 2020 ni les délais dont le terme est fixé au-delà du mois suivant la date de la cessation de l’état d’urgence sanitaire.

Cette ordonnance impacte fortement l’ensemble des relations contractuelles de droit privé :

    • S’agissant du mécanisme de report de terme et d’échéance, tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période sera réputé avoir été fait à temps s’il est accompli dans le délai légalement imparti pour agir, qui recommencera à courir à compter de la fin des mesures de confinement, mais dans la limite de deux mois (article 2).
      La réalisation de tous les actes ou formalités dont le terme devait échoir dans la période visée n’est pas supprimée. Simplement, n’est pas considéré comme tardif l’acte réalisé dans le délai supplémentaire imparti.
      A noter toutefois que cette autorisation de délai supplémentaire ne s’applique qu’aux actes prescrits par la loi ou le règlement ce qui a pour effet d’exclure indirectement de ce mécanisme de report l’ensemble des actes prévus contractuellement. Néanmoins, les dispositions de droit commun restent applicables aux contrats si leurs conditions sont réunies, le jeu de la force majeure de l’article 1218 du code civil par exemple.
    • Les astreintes et les clauses contractuelles (pénales, résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance) qui ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé et qui auraient dû produire ou commencer à produire leurs effets durant la période sont paralysées. Elles ne produiront effet qu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la fin des mesures de confinement, si le débiteur n’a pas exécuté son obligation avant ce terme.
      En revanche, les astreintes et clauses pénales ayant pris effet avant le 12 mars 2020, sont suspendues pendant la période (article 4). 
    • Concernant les conventions dont la résiliation ou l’opposition au renouvellement devait avoir lieu dans une période ou un délai qui expire durant la période, cette période ou ce délai sont prolongés de deux mois (article 5).
  • Ordonnance n° 2020-331 du 25 mars 2020 relative au prolongement de la trêve hivernale

En matière d’expulsions locatives, le gouvernement a adapté les dispositions de l’article L. 115-3 du code de l’action sociale et des familles.

Il a prolongé, pour l’année 2020, le délai fixé au troisième alinéa de ce texte et reporté la date de fin du sursis à toute mesure d’expulsion locative prévue à l’article L. 412-6 du code des procédures civiles d’exécution, pour cette même année, jusqu’au 31 mai 2020.

Il a aussi augmenté de deux mois, pour l’année 2020, les durées mentionnées aux articles L. 611-1 et L. 641-8 du code des procédures civiles d’exécution.

  • Ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété

L’exécutif a dérogé à la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis et en vertu duquel le contrat de syndic est un contrat à durée déterminée, non susceptible de renouvellement par tacite reconduction.

Le titre II de cette ordonnance vise à assurer une pérennité dans la gestion des copropriétés, leur conservation et la continuité des services essentiels à leur fonctionnement normal, conformément à leur destination. Il s’agit de pallier l’impossibilité pour les assemblées générales des copropriétaires de se réunir pendant la période de pandémie du COVID-19, y compris celles appelées à se prononcer sur la désignation d’un syndic en raison de l’arrivée à terme du contrat du syndic en exercice.

Ainsi, l’article 22 permet le renouvellement de plein droit du contrat de syndic arrivé à terme à compter du 12 mars 2020, sans que l’assemblée générale ait pu se réunir pour conclure un nouveau contrat de syndic.

En vertu de cet article, le contrat de syndic en exercice est renouvelé jusqu’à la prise d’effet du nouveau contrat du syndic désigné par la prochaine assemblée générale des copropriétaires, qui pourra être tenue à la sortie de l’état d’urgence sanitaire, et au plus tard le 31 décembre 2020.

Par un deuxième alinéa, ce renouvellement du contrat de syndic est exclu lorsque l’assemblée générale des copropriétaires a déjà désigné un syndic avant l’entrée en vigueur de la présente ordonnance, de sorte que la continuité dans la gestion de la copropriété est assurée.

 

A rapprocher :

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