Baux commerciaux : refacturation de la taxe foncière – un revirement de jurisprudence ?

Cass. civ. 3ème, 12 septembre 2019, n°18.18-018, inédit

Dans cet arrêt, la Cour de cassation retient que la refacturation de la taxe foncière au preneur de locaux commerciaux n’a pas à être expressément prévue dans le bail. Son obligation de la rembourser au bailleur se déduit de la clause générale mettant à sa charge tous les impôts auxquels sont assujettis les lieux loués de sorte que le loyer soit « net » de toutes taxes. Cette décision rendue pour un contrat conclu avant la réforme « PINEL » porte un coup d’arrêt à la jurisprudence encore récente qui retenait la solution inverse.

En l’espèce, l’usufruitier d’un local commercial donné à bail a demandé au locataire le paiement des taxes foncières des années 2010 à 2014.

Pour rejeter cette demande, la cour d’appel de Saint-Denis a, le 19 janvier 2018, retenu que le paiement de la taxe foncière par le locataire, n’avait pas été expressément prévu dans le bail.

La troisième chambre civile de la Cour de cassation a cassé l’arrêt rendu par la cour d’appel de Saint-Denis. Tout en rappelant que le juge a l’obligation de ne pas dénaturer le contrat, elle a estimé que la clause mettant à la charge du preneur « tous les impôts auxquels sont assujettis les lieux loués, de sorte que le loyer soit net de toutes charges quelconques, à la seule exception des impôts susceptibles de grever les revenus de location » était suffisamment précise pour imputer la taxe foncière au preneur.

Cette décision ne s’inscrit pas dans la continuité des arrêts précédents pourtant relativement récents. Par exemple dans un arrêt rendu le 13 septembre 2018, la Cour de cassation a jugé, pour un bail régi là aussi par les dispositions antérieures à la loi Pinel, que « la taxe d’ordures ménagères ne pouvait être mise à la charge du preneur qu’en vertu d’une stipulation expresse du bail et qu’elle ne constituait pas une charge afférente à l’immeuble et constaté que le bail mettait à la charge du preneur « sa quote-part des charges, taxes et dépenses de toutes natures afférentes à l’immeuble », la cour d’appel a légalement justifié sa décision en retenant que la taxe d’enlèvement des ordures ménagères ne pouvait être mise à la charge du preneur ».

De même, dans un arrêt plus récent encore du 13 décembre 2018, la troisième chambre civile a jugé, à propos d’un contrat conclu antérieurement à la réforme, qu’enl’absence de stipulation spécifique visant expressément la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, la demande du preneur en remboursement de cette taxe est recevable.

A noter cependant que la Cour de cassation avait, avant l’entrée en vigueur de la loi Pinel, retenu une position similaire à l’arrêt commenté. En effet, elle avait déjà jugé que, lorsque le bail comportait une clause mettant à la charge du preneur tous les impôts, contributions et taxes de toute nature auxquels les biens loués peuvent et pourront être assujettis ou donner lieu, l’impôt foncier grevant l’immeuble loué devait rester à la charge du preneur (Cass. civ. 3ème, 3 juin 2004, n°02-18.724, Inédit).

Pour mémoire, depuis la loi Pinel du 18 juin 2014 et son décret du 3 novembre 2014, il est exigé du bailleur de faire figurer au bail un inventaire précis et limitatif des catégories de charges, impôts et taxes avec une répartition de ceux-ci entre le locataire et le propriétaire (article L.145-40-2 du Code de commerce). De plus, pour les baux conclus ou renouvelés depuis le 5 novembre 2014, il est interdit d’imputer au locataire certaines charges, notamment les impôts et taxes dont le redevable légal est le bailleur ou le propriétaire du local ou de l’immeuble. Cependant, la taxe foncière et les taxes additionnelles à la taxe foncière ainsi que les impôts, taxes et redevances liés à l’usage du local ou de l’immeuble ou à un service dont le locataire bénéficie directement ou indirectement peuvent être mis à la charge de ce dernier (article R.145-35 du même code).

Pour conclure, jusqu’alors il semblait que, pour refacturer une taxe au preneur, une stipulation expresse du bail était impérative ; cette position prétorienne est d’ailleurs appuyée par l’entrée en vigueur de la loi Pinel et son décret d’application. En affirmant ici que la refacturation de la taxe foncière au preneur de locaux commerciaux n’a pas à être expressément prévue dans le bail, l’arrêt du 12 septembre 2019 vient semer le doute. 

La position de la Cour de cassation ne serait peut-être pas la même pour un contrat soumis au dispositif PINEL et l’avenir nous le dira. Quoiqu’il en soit les parties doivent rester vigilantes dans la rédaction des clauses de refacturation de charges.

A rapprocher : Loi n°2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises ; Décret n°2014-1317 du 3 novembre 2014 relatif au bail commercial ; Article R.145-35 du Code de commerce, dans sa rédaction issue du décret n°2014-1317 du 3 novembre 2014 ; Article 606 du Code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 9 février 1804 ; Cass. civ. 3ème, 13 septembre 2018, n°17-22.498, Inédit ; Cass. civ. 3ème, 13 décembre 2018, n°17-28.055, Non publié au bulletin ; Cass. civ. 3ème, 3 juin 2004, n°02-18.724, Inédit

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