Prescription de l’action en paiement de l’indemnité d’éviction et mesure d’instruction

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MILLIER-LEGRAND Chantal

Avocat

Cass. civ. 3ème, 6 juillet 2017, n°16-17.151

Les dispositions de l’article 2239 du Code civil, issues de la loi du 17 juin 2008, qui attachent à une décision ordonnant une mesure d’instruction, avant tout procès, un effet interruptif de la prescription jusqu’au jour où la mesure a été exécutée, s’appliquent aux décisions rendues après l’entrée en vigueur de cette loi.

Ce qu’il faut retenir : Les dispositions de l’article 2239 du Code civil, issues de la loi du 17 juin 2008, qui attachent à une décision ordonnant une mesure d’instruction, avant tout procès, un effet interruptif de la prescription jusqu’au jour où la mesure a été exécutée, s’appliquent aux décisions rendues après l’entrée en vigueur de cette loi.

Pour approfondir : L’article 2239 du Code civil  précise que :

« La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès.
Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée. »

Le preneur à bail commercial, destinataire d’un congé avec refus de renouvellement de la part de son bailleur, dispose d’un délai de deux ans pour demander le paiement d’une indemnité d’éviction.

La jurisprudence, sous l’empire des anciens textes, décidait que le Tribunal devait être saisi, « à peine de forclusion ». La forclusion n’était alors pas susceptible d’interruption dans les conditions de l’article 2241 du Code civil.

Les textes ont depuis évolué et à la suite de la réforme du droit de la prescription de juin 2008 et, depuis, et selon l’article 2241 du Code civil : la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.

Au surplus, l’article L.145-10 du Code de commerce a été modifié par la loi du 17 août 2008 pour supprimer « à peine de forclusion ».

En conséquence, la délivrance d’une assignation en référé interrompt désormais le délai de prescription de deux ans.

Dans son arrêt du 6 juillet 2017, la Cour de cassation décide que les dispositions de l’article 2239 du Code civil, issues de la loi du 17 juin 2008, qui attachent à une décision ordonnant une mesure d’instruction avant tout procès un effet interruptif de la prescription jusqu’au jour où la mesure a été exécutée, s’appliquent aux décisions rendues après l’entrée en vigueur de cette loi.

Dans l’espèce soumise à la Cour de cassation, une société, locataire de locaux commerciaux à usage de prêt-à-porter, avait demandé le renouvellement de son bail, le 6 juillet 2004. La bailleresse avait, dans un premier temps, accepté le renouvellement, puis, avait exercé son droit d’option, pour finalement refuser le renouvellement du bail et offrir de payer une indemnité d’éviction.

La société locataire avait sollicité, en référé, la désignation d’un expert pour évaluer l’indemnité d’éviction le 27 mai 2008. Une ordonnance de référé en date du 11 août 2008 avait prescrit une expertise.

L’expert avait déposé son rapport le 4 octobre 2011.

La société locataire avait assigné la société propriétaire le 4 avril 2012 en paiement de l’indemnité d’éviction.

Par un arrêt du 29 mars 2016, la Cour d’appel d’Aix en Provence avait déclarée prescrite l’action du locataire, au motif que l’action avait été introduite avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, que cette action aurait produit ses effets de droit sous le régime juridique qui était applicable lors de l’introduction de l’instance ; qu’en vertu de l’article 2244 du Code civil alors applicable, l’assignation en référé n’interrompait la prescription que pendant l’instance à laquelle il y était mis fin par l’ordonnance désignant l’expert.

La Cour de cassation décide : « qu’en statuant ainsi alors que les dispositions de l’article 2239 du Code civil, issues de la loi du 17 juin 2008 qui attachent à une décision ordonnant une mesure d’instruction avant tout procès un effet suspensif de la prescription jusqu’au jour où la mesure a été exécutée, s’appliquent aux décisions rendues après l’entrée en vigueur de cette loi, la Cour d’appel a violé les textes visés ».

L’arrêt de la Cour d’appel d’Aix en Provence est cassé et les Parties sont renvoyées pour qu’il soit statué sur l’action en paiement de l’indemnité d’éviction engagée par la société locataire.

La loi 2008-561 du 17 juin 2008 a apporté une innovation : la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès, le délai de prescription est suspendu pendant toute la mesure d’instruction et ne recommence à courir qu’à compter du jour où la mesure a été exécutée et pour une durée qui ne peut être inférieure à 6 mois.

La précision de la Cour de cassation qui confirme que ces innovations s’appliquent aux décisions rendues après l’entrée en vigueur de la loi est importante.

Rappelons que la prescription est également suspendue à compter du jour où après la survenance d’un litige, les Parties conviennent de recourir à la médiation.

A rapprocher : Cass. civ. 3ème, 30 mars 2017, n°16-32.236

cmillierlegrand@simonassocies.com

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