Attention à la fixation de la durée contractuelle dans le bail dérogatoire

Cass. civ. 3ème, 8 juin 2017, FS-P+B + I, n°16-24.045

Dans un arrêt rendu le 8 juin 2017, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation précise que quelle que soit la durée du bail dérogatoire ou du maintien dans les lieux, si le preneur reste et est laissé en possession au-delà du terme contractuel, il s’opère un nouveau bail dont l’effet est régi par les articles L.145-1 et suivants du Code de commerce.

Ce qu’il faut retenir : Le bail dérogatoire, également appelé bail de courte durée, se transforme en bail commercial soumis aux dispositions du statut si le preneur reste dans les lieux et est laissé en possession à l’expiration de la durée contractuellement convenue. Le fait de conclure un bail dérogatoire ne permet donc pas aux parties de considérer qu’elles restent libres, même après l’expiration du terme de ce bail, d’échapper à la requalification en bail commercial si l’une ou l’autre souhaite y mettre fin, avant l’expiration de la durée de trois ans (antérieurement deux ans) visée à l’article L 145-5 du Code de commerce. Il convient par conséquent d’être très vigilant dans la rédaction de la clause relative à la durée du bail dérogatoire.

Pour approfondir : Dans cette affaire, le bailleur avait consenti le 14 juin 2010 un bail dérogatoire d’une durée de 4 mois. Le preneur avait délivré un congé pour le 15 avril 2012. Le bailleur l’a alors assigné en paiement des loyers jusqu’à l’échéance triennale du 13 octobre 2013, en faisant valoir qu’à compter du 14 octobre 2010, il s’était opéré un nouveau bail soumis aux dispositions du statut des baux commerciaux.

Le preneur a fait valoir dans son pourvoi qu’en application des dispositions de l’article 1738 du Code civil, à l’expiration du bail écrit, soit le 14 octobre 2010, un nouveau bail s’était opéré, lui-même soumis aux locations faites sans écrit.

Il prétendait, par conséquent, qu’en application de l’article L 145-5 du Code de commerce, il pouvait être mis fin à ce bail « sans écrit » pour autant que la durée totale du bail initial et de ce nouveau bail ne soit pas supérieure à deux ans (désormais trois ans).

Cette analyse était séduisante et rejoignait une partie de la doctrine (Mémento Expert – Baux commerciaux – F. Lefebvre 2015-2016, n° 3910 ; Jacques Lafond, Jurisclasseur Notarial, Fascicule 40, n° 23).

Elle n’a pas été retenue par la Cour de cassation qui a considéré qu’il était essentiel de se référer à la situation à l’issue du terme contractuel et donc à la volonté des parties.

En effet, l’article L 145-5 du Code de commerce dispose que les parties peuvent déroger aux dispositions du statut à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans et que si, à l’expiration de « cette » durée, et au plus tard à l’issue d’un délai d’un mois à compter de l’échéance , le preneur reste et est laissé en possession, il s’opère un nouveau bail soumis au statut. A ce titre, il est essentiel de comprendre que « cette » durée à prendre en compte reste la durée contractuellement fixée et non la durée maximale autorisée.

L’article L 145-5 précise également qu’il s’agit pour les parties au contrat de bail dérogatoire de « déroger » de sorte que cette volonté doit être exprimée. Dans ce cadre, il n’est pas suffisant de se référer à la simple situation de fait résultant du maintien dans les lieux du preneur pour considérer que les parties ont entendu confirmer leur souhait de déroger aux dispositions du statut.

En revanche, les parties au contrat de bail dérogatoire auraient pu conclure un nouveau bail en manifestant leur volonté de se maintenir dans les conditions d’un bail dérogatoire pour autant que la durée totale du bail initial et du ou des baux successifs ne dépassent pas trois ans.

Encore fallait-il que cette volonté soit à nouveau exprimée dans un bail écrit.

Si les parties veulent se donner de la souplesse, et éviter une rupture de continuité, il est possible de stipuler que le bail dérogatoire a une durée de X mois ou année, correspondant au souhait initial des parties avec une clause de prorogation automatique du bail jusqu’à la date anniversaire des trois ans sauf exercice par l’une ou l’autre des parties de la faculté convenue d’y mettre fin.

Il a également été jugé qu’un bail dérogatoire pouvait être conclu pour une durée de 23 mois avec une durée « ferme » de 6 mois et une faculté discrétionnaire de résiliation pour le bailleur à l’expiration de cette durée (Cass. civ. 3ème, 23 janvier 2007, n°05-19.366).

En toute hypothèse, il est essentiel de soigner la clause relative à la durée dans le bail dérogatoire et/ou de surveiller son agenda.

A rapprocher : Article L.145-5 du Code de commerce ; Article 1738 du Code civil ; Cass. civ. 3ème, 23 janvier 2007, n°05-19.366

 

jbernier@simonassocies.com

Sommaire

Autres articles

some
Palmarès 2021
Top 3 décisions de la Cour de cassation L’année 2022 venant à peine de commencer, la saison invite inévitablement à se retourner sur l’année écoulée et à faire un bilan. D’autant que les prochaines nouveautés – que l’expérience nous fait…
some
Valeur verte des immeubles et baux commerciaux
Dans quelle mesure un bailleur-investisseur ou un le locataire commercial ont-ils aujourd’hui respectivement intérêt à donner et à prendre à bail un bien performant sur le plan environnemental ? En d’autres termes, la « valeur verte » d’un actif permet-elle…
some
Application de la « loi Pinel » dans le temps : précision sur la date du « contrat renouvelé »
Cass. civ. 3ème, 17 juin 2021, n°20-12.844, FS-B « Un contrat étant renouvelé à la date d’effet du bail renouvelé », les dispositions du statut des baux commerciaux relatives aux charges, issues de la « loi Pinel » et de son décret d’application, applicables…
some
Nature du droit propriétaire commercial
Que distingue le droit de préférence du droit de préemption, de substitution et de propriété ? La nature du droit conféré au locataire d’un local commercial aux termes de l’article L.145-46-1 du Code de commerce revêt des enjeux de qualification juridique.…
some
La défense du droit de propriété face au droit de préférence
Le droit de préférence dont bénéficie le preneur à bail d’un local commercial aux termes de l’article L.145-46-1 du Code de commerce peut constituer, dans des cas extrêmes, une limitation préoccupante au droit de disposer du propriétaire des murs. Les…
some
Covid-19 et non-paiement des loyers commerciaux pour la période d’avril et mai 2020
CA Riom, ch. civ. 1ère, 2 mars 2021, n°20/01418 Si bailleur et preneur, en période de Covid-19, doivent, de bonne foi, se concerter sur la nécessité d’aménager les modalités d’exécution de leurs obligations respectives, les moyens du locataire – défaut…